ValfrancoisArbre 2020 Encre brou de noix 59 x 42 cm scaled
Val francois Triptyque tissage 2023 Encre et brou de noix 63 x 30 cm scaled
Valfrancois Tissage 2023 Encre et brou de noix sur carte imprimee 23 x 38 cm scaled
ValFrancois Arbre 2023 Encre brou de noix et sel 77 x 60 cm scaled
Démarche artistique :
C’est pas possible, ils sont plusieurs !
Il y en a partout : tissages, collages, empreintes, dessins précis ou nuageux, anatomiques parfois et enfin fleurs et sarcophage. On cherche ce qui peut bien les relier. Peut-être les empreintes. Empreinte de quoi, de ce qui a existé, de ce qui a été vivant en somme. Comme une trace de pas, une empreinte de qui ou de quoi, d’animaux ou d’hommes qui ont vécu. Et des empreintes, il y en a beaucoup, avec un peu d’imagination on en trouve partout: démultipliées grâce aux pliures et au système des pochoirs, sur des dessins qui évoquent les nuages ou les taches d’encre abstraites du test de Rorschach – qui peut définir une partie de votre personnalité disent les psychologues -, dans les tissages qui multiplient les motifs….
Dés que l’on parle d’empreinte, on évoque ce qui a existé et ce qui est mort. Une empreinte, c’est bien le reste de ce qui a été vivant, donc pas tout à fait mort. Elle traîne partout celle-là ; pas la faucheuse mais tout ce qu’on invente pour l’exorciser, faciliter le passage vers l’au-delà, tout ce que l’on n’accepte pas faute de comprendre.
Il y a les empreintes mais aussi le sarcophage qui recouvre la vie et fait semblant de rien. Il peut, comme ici nous dit-on, servir de vase avec des fleurs qui, bien sûr, meurent. La mort n’est plus loin d’autant que les tissages, dans certaines civilisations, servent à «emballer» le défunt, dans d’autres on le «colle» dans un sarcophage. Celui-ci cache la mort ou la prépare, mais sert rarement de vase à moins qu’on l’oblige à recueillir des fleurs… Vous savez, ces mêmes fleurs qui se dessèchent en mourant et restent similaires sauf qu’elles laissent une empreinte sur le papier lors de leur passage. Dans les natures mortes du Moyen-Âge, les bouquets représentent parfois la mort. On se rapproche.
Alors empreinte de la mort ou du vivant ? Les deux, certainement. Tout ne serait donc qu’une histoire de représentation.
Et surtout de ce qu’on veut montrer avec les signes utilisés : une empreinte, un dessin stylisé, un pochoir, un dessin anatomique qui évoque le squelette et… un poulpe. On le trouve partout, en empreinte, à califourchon sur le tissé, en superposition, seul au monde traité comme la colonne vertébrale. Le poulpe est un animal très rusé dit-on, qui se cache derrière son encre et peut à loisir changer d’aspect car de couleur. Lui aussi cache bien son jeu, il apparaît et disparaît à volonté pourvu qu’on le reconnaisse au moment où il faut. C’est très pratique ! Stylisé ou à l’encre très «dessiné», on le reconnait tout de suite. En quoi représente t’il la mort ou le vivant ? En rien, mais il accompagne les différents types de représentation comme un rappel, presque une signature.
On a beaucoup parlé d’empreinte, de mort, mais jamais de ce qui relie les deux : le passage. Il y aurait une vie après la mort, ou une mort qui ressemble à la vie. Une histoire de passage donc, de l’objet qui prépare la mort avec le sarcophage ou le tissé qu’on imagine bien entourer le mort. Que faire des empreintes ? Elles aussi rappellent la vie qui s’est manifestée et n’a laissé que des traces. Qu’elles soient nettes comme ce poulpe très «chirurgical» ou disposées de chaque côté d’une pliure comme un dessin précis mais suffisamment vague pour ne proposer qu’une tache que l’on pourrait interpréter, l’empreinte est partout sous toutes ses formes.
Une histoire de vie qui se termine, d’une gigantesque empreinte de mort annoncée qui revient dans des stigmates.
Cela ne vous rappelle rien ?
Texte de Jérôme Legendre
Suite entretien sur mon travail :
Votre travail fait appel à des techniques picturales variées
qui, selon les procédés, laissent place à la surprise.
Qu’en est-il de la question du motif ?
Le dessin arrive en premier jet. Le motif va jaillir des projections
sur le modèle. La plante séchée posée sur le papier
sert de pochoir. Le dessin procède par strates pour révéler
les forces originelles de l’image. Il n’est pas reproductif ou
imitatif.
Les bains d’apparition signent les styles variés des dessins
portés par ces forces agissantes. Le « plaisir de faire » régule
les gestes et les idées, le dessin procède de son acte.
Le motif est-il dessiné ou désigné ? Dans son bain, le dessin
de la plante va-t-il apparaître à notre regard ? Les motifs sont
positifs et/ou négatifs. L’aspect visuel n’est pas sans rappeler
les planches contact obtenues par la technique du cyanotype.
Le bain de lumière est un souvenir bleu absorbé sur
la surface du papier. La plante-pochoir demeure blanche.
J’utilise ce principe de dessin par le contour. Le blanc est
néanmoins rarement conservé, la répétition des couches le
recouvre.
Ainsi naissent dans l’eau et le sel ces « natures mortes ». Elles
sont conservées telles quelles ou constituent parfois la matière
première, le compost des tissages.
Comment se trame, selon vous, la rencontre entre l’œuvre
et le regard du spectateur ? Comment l’envisagez-vous ?
Je dissocie deux types de réalisations : les dessins sur papier
et les tissages. Dans les dessins, je cherche à révéler
un monde sensible dans les matières. Constituées de sels
et de pigments, celles-ci organisent des mouvements de
va-et-vient entre les détails et l’ensemble de l’image. Ces
échanges entre figure et abstraction ne sont pas nouveaux :
souvenons-nous des vieux crépis de Léonard de Vinci ou des
dessins de Victor Hugo.
Pour les papiers tissés, je sélectionne deux dessins selon
leur opposition ou leur complémentarité. Couleurs et motifs
s’affrontent lors du tissage. Entre tension et dialogue, les
mailles capturent le regard du spectateur, parfois l’aveuglent
à l’image de la nuée d’encre de la sèche. Tisser, c’est aussi
dissimuler. Une moitié de l’œuvre demeure invisible.
L’usage du pli est central dans votre pratique. Quelles fonctions lui attribuez-vous ?
Le pli est souvenir de la composition, cette charpente du
tableau
classique : rabattement du petit côté sur le grand,
médiane, diagonale… Dans les plis de mes dessins se déposent
les mélanges liants et les pigments. Soumis à la pression du rouleau,
les pigments se répandent dans une dynamique de forces
compressives puis extensives lorsque la feuille est dépliée.
Ces forces sont à l’origine des plis et des failles géologiques.
Avec le pli unique – l’axe de symétrie -, le regard quitte la
géologie pour rencontrer le test de Rorschach et ses taches
projectives. Ma pratique artistique est plus proche du silence
des forces géologiques mais j’aime les surprises aux creux
des plis. Et puis le pli sur la feuille de papier me semble
proche du lapsus de la langue.
L’usage répété de la technique du pli m’a conduit assez naturellement
à introduire la carte dans mon travail.
Poursuivons-donc sur la carte. Qu’est-ce qui préside à son
usage comme matériau et élément textuel à part entière ?
Les cartes exigent lecture et interprétation, elles sont des
médiums proches des textes. Les cartes s’adressent aux
espaces de l’imaginaire et du cognitif. Comme les dessins,
elles constituent la matière première de mes tissages. Elles
inventent mes pèlerinages antiques dans les scintillements
de la Méditerranée. Sur les marges des premières cartes se
mélangeaient autrefois symbolisations, rêves et fantasmes.
Cet imaginaire a disparu avec l’arrivée des grandes codifications
des générations Cassini. Le réalisme de la carte impose
de nouveaux codes par son dessin régulier généré par
la proportion des mathématiques. L’espace se soumet au
dessin géométrique et à sa triangulation. Aujourd’hui, la légende
laisse place aux « récits » du GPS !Tissées, mes cartes fabriquent des damiers de frontières
entre images et émotions. Apparaît une dérive d’espaces et
de récits. Visible et invisible se juxtaposent. Naît un nouveau
topo où le passé d’une carte est contenu dans le présent
de l’autre. Le cheminement n’est plus lisible, seul reste la
dérive de l’acheminement du regard. Avec Marcel Detienne
et Jean-Pierre Vernant, les tissages du bassin méditerranéen
font nouage avec la mythologie grecque. La métis grecque
m’adresse ruse et piège, technique et artifice, poulpe et
encre, bouclier et miroir, regard et mort. A moi de mettre
en oeuvre les techniques de l’empreinte du pochoir et du
tissage. L’atelier est le laboratoire des recherches de « l’habileté
rusée ».
Un mot sur la présence du sarcophage dans ce vaste
corpus de natures mortes !
Jean-Jacques Rousseau qualifie les plantes de « dignes
objets de contemplation » (in Lettre élémentaire sur la botanique).
Si la plante est un objet, ma pratique est-elle du côté
de la nature morte ? À la lecture de Gérard Wajcman (in Ni
nature, ni morte), je découvre que le sarcophage n’intègre
pas la liste des objets figurables dans la nature morte. Même
si je n’y comprends rien, je peux toujours rêver d’ouvrir les
sarcophages du vivant.
Empreinte, pochoir, projection, tissage…
constituent l’arsenal de vos techniques favorites.
En quoi vous intéressent-elles ?
Ces pratiques sont celles de gestes et de techniques d’origine.
À Lascaux, le pochoir retient la main ; dans les ports,
il inscrit les adresses de livraison ; dans les buffets, il décore
la vaisselle ; dans les villes, il prend la parole sur les murs.
Aujourd’hui, pour sa série Tchernobyl, Anaïs Tondeur invente
le pochoir-herbier radioactif. Après une collecte de plantes
dans la zone d’exclusion de Tchernobyl, l’artiste reprend
la technique du photogramme, l’image apparaît sur le papier
grâce à l’action de la lumière et de la radioactivité contenue
dans la plante. Pendant ce temps, le tissage trame matières
et surfaces aux quatre coins du monde. Ces techniques de
tissage sont toujours actives dans l’art actuel. Citons François
Rouan et Dinh Q. Lê.
Votre production récente manifeste en effet une inclinaison
certaine pour la technique du tissage.
Le tissage du motif à l’envers épuise le geste dans sa propre
répétition. Quand les bords sont atteints, c’est la découverte
de l’œuvre retournée. Je me souviens du jeu du « fort-da »
de l’enfant à la bobine relaté par Freud (in Au-delà du principe
de plaisir). Tisser, c’est re-construire la surface pour
atteindre d’instinct bords et limites. Je tisse des miroirs…
Je crois qu’ils voient comme nous ! Ce qui importe pour les
tissages, ce sont les bords : les bords sont suture de la trame.
Avec les mains, je vois ce qui se passe. Un bord, c’est familier.
Une surface comme la vie n’a pas d’extension infinie.
Le bord ferme la surface du corps de l’œuvre.
Bordure et suture, dites-vous…
Mon enveloppe corporelle a été découpée et mon sternum
scié pour réparer ma valve aortique. C’est étrange ce souvenir
de la découpe du sternum. Ouverture puis fermeture
sur l’axe de symétrie… Demeure la trace de la cicatrice qui
témoigne de l’assemblage. Cette couture fut nécessaire
pour refermer l’enveloppe corporelle. Cette enveloppe fut
bien ouverte puis refermée par les mains d’une équipe habile
de ruses et de technique, comme dans la Grèce antique.
Entretien avec Yann Parigot, juin 2023
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